Le Quiproquo Géopolitique : Russie, Ukraine, Mali et Azawad
Dans le théâtre complexe de la géopolitique mondiale, certaines contradictions apparaissent avec une clarté déconcertante. Prenons, par exemple, les relations entre la Russie, l'Ukraine, le Mali et l'Azawad. La Russie soutient les séparatistes du Donbass en Ukraine, tandis qu'elle aide simultanément le gouvernement malien à mater les indépendantistes de l'Azawad. D'un autre côté, l'Ukraine, qui combat elle-même des séparatistes prorusses sur son sol, offre un soutien logistique aux indépendantistes de l'Azawad. Ce jeu de contradictions mérite une analyse approfondie pour comprendre les motivations et les implications de ces positions apparemment incohérentes.
Qu’est-ce que la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) ?
Les relations diplomatiques entre le Mali et l’Ukraine ont récemment pris un tournant dramatique. Le porte-parole du gouvernement malien a annoncé la rupture de tout lien diplomatique avec l’Ukraine, accusant cette dernière de soutenir des groupes terroristes dans la région d’Azawad. Cette accusation, bien que forte, mérite une analyse plus nuancée.
Le terme “groupes terroristes” ne convient pas pour décrire la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA). La CMA représente le bras armé de l’Azawad et n’a rien à voir avec les islamistes radicaux qui cherchent à imposer un régime islamique au Mali. En fait, la CMA regroupe des mouvements qui luttent pour l’autodétermination et la reconnaissance des droits des populations touarègues dans le nord du Mali. Selon un rapport de l'International Crisis Group, la CMA cherche à obtenir une autonomie régionale dans un cadre fédéral et non pas à instaurer un État islamique radical [1].
L’Origine du Mouvement d’Indépendance de l’Azawad
La revendication d’indépendance de l’Azawad remonte bien avant l’indépendance du Mali. Les Touaregs, qui forment une partie significative de la population de l’Azawad, ont toujours eu une identité distincte et ont souvent résisté à la domination extérieure, qu’elle soit coloniale ou nationale. Dès les années 1950, des leaders locaux comme Mohamed Mahmoud Ould Cheick ont exprimé leur opposition à l’intégration dans un État malien indépendant et ont plaidé pour une entité autonome sous contrôle français [2].
Après l’indépendance du Mali en 1960, les tensions entre les Touaregs et le gouvernement central à Bamako se sont intensifiées. Plusieurs rébellions touarègues ont éclaté, la première en 1962-1964, suivie de conflits majeurs en 1990 et en 2006, et plus récemment en 2012 avec la création du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA). Ce mouvement a déclaré l’indépendance de l’Azawad en avril 2012, bien que cette indépendance n’ait pas été reconnue internationalement et que la région soit rapidement tombée dans le chaos, en partie en raison de l’intervention de groupes islamistes [3].
La Russie et le Donbass
Depuis 2014, la Russie a soutenu les séparatistes prorusses dans l'est de l'Ukraine, notamment dans les régions du Donbass. Ce soutien inclut une assistance militaire, économique et politique. Moscou justifie cette intervention par le besoin de protéger les populations russophones et de contrecarrer l'influence occidentale en Ukraine. Cette position s'inscrit dans une logique de défense des droits des minorités et de soutien aux mouvements séparatistes alignés sur ses intérêts [4].
La Russie et le Mali
Contrastant avec sa position en Ukraine, la Russie a intensifié sa coopération militaire avec le Mali pour aider le gouvernement à lutter contre les groupes armés, y compris les indépendantistes de l'Azawad. Ici, la Russie défend l'intégrité territoriale du Mali contre des mouvements séparatistes, soulignant une politique de soutien aux gouvernements en place contre toute forme de sécession. Ce double standard montre que la politique russe est guidée par des intérêts stratégiques plutôt que par une idéologie cohérente [5].
L'Ukraine et l'Azawad
Pendant ce temps, l'Ukraine, engagée dans un conflit avec des séparatistes prorusses, a paradoxalement apporté un soutien logistique aux indépendantistes de l'Azawad au Mali. Ce soutien peut être interprété comme une tentative de l'Ukraine de contrer l'influence russe en Afrique, tout en cherchant des alliés potentiels contre la Russie. Cette action révèle une dynamique où les alliances se forment non pas par cohérence idéologique, mais par opposition stratégique à des ennemis communs [6].
La Réaction du Mali
Le Mali s'offusque du soutien de l'Ukraine aux indépendantistes de l'Azawad, dénonçant une ingérence étrangère dans ses affaires internes. Cependant, cette position semble hypocrite étant donné que le Mali n'a jamais caché son soutien pour la Russie dans le conflit ukrainien. En fait, le Mali a constamment refusé de voter contre la Russie lors des assemblées de l'ONU, démontrant une solidarité politique claire avec Moscou [7]. Ce soutien du Mali à la Russie, malgré les accusations occidentales d'agression, ajoute une couche supplémentaire de complexité et d'incohérence à cette dynamique géopolitique.
Le Jeu des Intérêts Stratégiques
Ces positions paradoxales mettent en lumière une vérité fondamentale de la géopolitique : les États agissent souvent en fonction de leurs intérêts immédiats plutôt que selon des principes constants. La Russie défend les séparatistes lorsqu'ils servent ses objectifs, tout en soutenant les gouvernements centraux contre d'autres mouvements séparatistes. De même, l'Ukraine, tout en combattant des séparatistes sur son propre sol, soutient des mouvements similaires à l'étranger pour affaiblir un adversaire commun. Et le Mali, tout en dénonçant l'ingérence ukrainienne, soutient fermement la position russe sur la scène internationale.
Conclusion
Ce quiproquo géopolitique entre la Russie, l'Ukraine, le Mali et l'Azawad illustre la complexité des relations internationales où les intérêts stratégiques priment sur la cohérence idéologique. Les États manipulent les alliances et les soutiens en fonction des circonstances, créant des situations où la logique apparente cède la place à des calculs pragmatiques. Dans ce jeu, les principes sont souvent relégués au second plan, laissant place à des dynamiques fluctuantes dictées par les réalités du pouvoir et de l'influence. La situation actuelle démontre combien la géopolitique moderne est un domaine où les paradoxes sont non seulement courants, mais aussi révélateurs des motivations profondes des acteurs internationaux.
Références
1. International Crisis Group. Mali: The Security Situation in the Azawad. Consulté sur [International Crisis Group](https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/mali/mali-security-situation-azawad).
2. Catalyst.Broken Promises: The Foundation of the Azawad Independence Movement. Consulté sur [Catalyst McGill](https://catalystmcgill.com/broken-promises-the-foundation-of-the-azawad-independence-movement/).
3. Crisis Group. Mali’s Azawad Crisis: An Update. Consulté sur [Crisis Group](https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/mali/malis-azawad-crisis-update).
4. Carnegie Moscow Center. The Kremlin's Strategy in the Donbas. Consulté sur [Carnegie Moscow Center](https://carnegie.ru/commentary/76054).
5. Al Jazeera. Russia’s Growing Influence in Mali. Consulté sur [Al Jazeera](https://www.aljazeera.com/news/2023/2/15/russias-growing-influence-in-mali).
6. Ukraine Crisis Media Center. Ukraine’s Strategy in Africa. Consulté sur [Ukraine Crisis Media Center](https://uacrisis.org/en/ukraines-strategy-in-africa).
7. UN News. Mali's Diplomatic Stance on Russia. Consulté sur [UN News](https://news.un.org/en/story/2023/03/1124967).
Écrit par Todema WOWO
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